En novembre 2020, la revue JWC (journal of wound care) a publié un nouveau consensus international sur le lipœdème, à la suite de la série Myths and Facts. Ce texte a suscité des remous et des désaccords dans la communauté du lipœdème.
En réaction, l’association de patient italienne Lio Lipedema Italia Onlus a organisé un webinaire le 06 décembre 2020. Cet évènement Web multidisciplinaire impliquait des experts internationaux du lipœdème, y compris le groupe américain Standard of Care et de nombreuses associations de patients.
Cette réunion avait pour but d’expliquer que la discussion médicale sur le lipœdème ne fait pas actuellement l’objet d’un consensus universel malgré la parution dans le JWC.
Le document de consensus énonce le point suivant comme un fait imaginaire, un mythe : le lipœdème rend les patients gras ! Alors, le lipœdème fait-il grossir ?
Les auteurs reconnaissent que les preuves manquent, que ce soit dans un sens ou dans l’autre :
- Il n’y a pas de preuve que le lipœdème fait grossir
- Il n’y a pas de preuve que le lipœdème ne fait pas grossir
Ce que disent le Dr Tobias Bertsch et le document de consensus
Le lien entre le lipœdème et l’excès de poids
Selon le consensus, il est évident qu’il existe une relation étroite entre le surpoids, l’obésité et le lipœdème. La très grande majorité des patients atteints de lipœdème sont obèses avec un IMC > 30.
L’indice de masse corporelle est un indicateur qui permet de savoir si votre poids est adapté à votre taille. (IMC = poids en kg/taille² en m).
IMC (kg/m²) | Interprétation |
16,5 à 18,5 | Maigreur |
18,5 à 25 | Corpulence normale |
25 à 30 | Surpoids |
> 30 | Obésité |
Les chiffres cités dans le document de consensus sont qu’entres 76% à 88% des patients suivis dans les centres pour un lipœdème sont des patients obèses et environ 11% sont en surpoids.
- Leur conclusion est qu’il est probable que la prise de volume au niveau des jambes et des bras est liée à la prise de poids et pas au lipœdème. Il n’y a pas de preuve que les cellules de graisse se multiplient de façon anarchique.
- De plus, la prise de poids et donc de volume provoquerait l’apparition du lipœdème ou en augmenterait les symptômes chez les femmes prédisposées par la génétique. Le risque de symptômes et, par conséquent, le développement d’un lipœdème commence généralement lorsque le poids progresse (pas forcément à la puberté) et que l’augmentation de la graisse associée, dans la moitié inférieure du corps, se produit.
Le Dr Sandro Michelini (webinaire) confirme l’origine génétique du lipœdème.
Le lipoedème est un phénomène rare chez les femmes de poids normal.
Je vous vois déjà sursauter et vous étonner de cette indication du consensus.
Selon les auteurs, une femme de poids normal avec un lipœdème est très rare (environ 3% des cas). Ainsi, la grande majorité des femmes ont simultanément deux maladies : l’obésité et le lipœdème.
En fait, les experts ont une définition plus restrictive du lipœdème:
Un lipœdème est caractérisé par une accumulation disproportionnée de gras sous la peau et de la douleur.
Sans douleur et sans hypersensibilité, il n’y a pas de lipœdème mais une lipohypertrophie. La lipohypertrophie n’est pas une maladie, c’est une particularité morphologique. Avoir une accumulation de graisse sur le bas du corps sans symptômes n’est pas une maladie. Les bleus, les ecchymoses ne sont qu’une manifestation mineure et ne suffisent pas pour le diagnostic du lipœdème.
Ainsi pour le document de consensus :
Pas de douleurs = pas de lipœdème
Le nom de la maladie devrait donc être changé : lipœdème deviendrait syndrome de lipalgie puisqu’il y a des douleurs et pas d’œdème.
Pour en savoir plus, voir cet article sur l’œdème.
Toutes les recommandations des auteurs qui en découlent sont basées sur la gestion du poids.
- Eviter un maximum de prendre du poids
- Chercher à stabiliser son poids et surtout ne pas faire de régime restrictif.
Les régimes restrictifs conduisent à l’effet yoyo. Entre 80% et 99% de tous les patients qui perdent du poids par les régimes le reprendront à long terme. La reprise de poids aggrave le lipœdème. - La chirurgie bariatrique est recommandée si l’IMC > 40
« Toute recommandation d’un médecin aux patientes atteintes de lipoedème de perdre du poids augmente en fait le risque d’une nouvelle augmentation du tissu adipeux dans la région des jambes et, par conséquent, augmente également le risque d’augmentation de leurs symptômes. De l’avis des auteurs, le « boom » du lipœdème est dû à la manière dont l’obésité a été gérée. »
Consensus document
Les experts citent notamment l’étude du Dr Isabel Forner-Cordero
Le lipœdème est stable chez 2/3 des patients si le poids est stable
Le lipœdème augmente chez 1/3 des patients et cela est lié à la prise de poids
Forner-Codero I, Martínez-Amorós P, Herrero-Manley L, Muñoz-Langa J. Secondary malignant lymphedema: different scenarios. Lecture delivered at the International Society of Lymphology, 3–4 May 2019, Brussels, Belgium
Selon le document de consensus, le lipœdème n’est donc pas une maladie progressive, c’est la prise de poids qui est progressive. Si le poids est stable, la maladie ne s’aggravera pas.
Cette information, si elle se confirmait, est rassurante pour nous en tant que patients. La dégradation possible de l’état de nos jambes est une crainte que beaucoup d’entre nous partageons.
Ce qu’en pensent les intervenants du webinaire
Il manque de preuves scientifiques. Le consensus rejette l’idée que le lipœdème ne peut pas faire grossir. Or, on ne peut pas fermer la porte et répondre à cette question pour le moment. (Dr Karen Herbst)
Les auteurs du consensus pensent que la grande majorité des femmes atteintes de lipœdème sont obèses, est-ce la réalité ? (Dr Herbst)
Les associations de patient reprennent cet argument.
Les chiffres cités sont représentatifs des patients qui consultent des cliniques spécialisées. Il manque des groupes de patients, toutes ces femmes plus jeunes et plus proches du début de leur maladie. Ces personnes sont-elles obèses, en surpoids ?
Je me demande effectivement si les chiffres avancés sont bons. N’y a-t-il pas un biais ? Beaucoup de femmes ont des douleurs et une disproportion dans les jambes. Mais elles ne consultent pas dans ces centres de lymphologie dont les chiffres sont tirés. 3% de femmes ayant un lipœdème seraient de poids normal et 9% auraient un surpoids. Ces chiffres semblent très étonnants aux associations bien qu’elles ne contestent pas le fait que l’obésité soit une problématique de beaucoup de femmes vivant avec un lipœdème.
Les tissus sont différents
Le Dr Herbst souligne que les auteurs ne font pas référence aux études qui montrent une différence microscopique entre les tissus atteints de lipœdème et les tissus sains :
- La taille des cellules de graisse est différente,
- Les micro-vaisseaux sont dilatés et plus nombreux,
- Les cellules immunitaires sont différentes (macrophages et lymphocytes),
- L’expression des gènes est différente.
Un marqueur de désordres lymphatiques (le PF4) est élevé dans tous les stades de lipœdème indépendamment de l’obésité.
Les Dr. Jaime Schwartz et Agostino Bruno, chirurgiens pratiquant la liposuccion du lipœdème, témoignent de différence de texture de la graisse du lipœdème visible à l’œil nu. Ce qu’ils retirent ne ressemble pas à de la graisse normale. Le tissu est fibrosé, ferme, noduleux, de couleur différente.
Le Professeur Wilfried Schmeller insiste également sur le fait que les douleurs disparaissent quasi-immédiatement dans les jours qui suivent la liposuccion et qu’il doit y avoir dans la graisse un facteur qui nécessite d’être enlevé.
La perte de poids a-t-elle un effet sur le lipœdème?
Là encore, il manque de preuves
Par son expérience en tant que médecin, le Dr Bertsch (document de consensus) relève ces faits :
- Le volume des membres touchés par le lipœdème diminue en cas de perte de poids corporel.
- La disproportion de répartition du tissu gras persiste malgré l’amincissement
- La perte de poids diminue les douleurs du lipœdème voir les supprime totalement chez certaines femmes.
- S’il n’y a pas de reprise de poids, les résultats sur la douleur sont stables dans le temps.
Le document de consensus cite des exemples de patients obèses ayant perdu beaucoup de poids grâce à la chirurgie bariatrique et qui ont moins voire plus de douleurs
L’association italienne Liolipedema Onlus et le Dr Herbst ne sont pas d’accord.
Des contrexemples de femmes obèses ayant perdues beaucoup de poids par chirurgie bariatrique mais qui ont toujours des symptômes sont donnés.
Le Dr Thomas Wright témoigne de son étude sur la perte de poids et le lipœdème.
Un protocole a été mis en place pour faire perdre 10% de leur poids de départ à des femmes ayant le même IMC. Certaines étaient atteintes de lipœdèmeet d’autres pas.
Le Dr Wright confirme que les femmes atteintes de lipœdème ont proportionnellement plus de masse grasse dans les jambes que les femmes dont l’IMC est identique. C’est vrai avant la perte de poids et cela reste vrai après la perte de poids. Cependant, perdre 10% de masse corporelle n’a pas eu d’effet sur les symptômes du lipœdème. Le Dr Wright souligne aussi des différences de métabolisme biologique entre l’obésité et le lipœdème qui en font bien 2 maladies différentes.
Ce que l’on peut en retenir
Tant que les experts ne se sont pas mis d’accord sur une vraie définition consensuelle du lipœdème, il est difficile de s’y retrouver. Qu’est ce qu’un lipœdème, quels sont les symptômes du lipœdème? Les experts des différents pays font-ils tous référence aux mêmes critères, rien n’est moins sûr.
De plus, les groupes de femmes étudiées sont trop petits, nous avons besoin d’études de grandes envergures sur une grosse population de femmes touchées et pas juste une dizaine ou une vingtaine de femmes comme le souligne la Lipedema Foundation.
Il est clair que le poids et le lipœdème sont étroitement liés même si on ne sait pas encore de quelle manière. Nous avons besoin des directives sur notre alimentation plus claires et plus détaillées puisque la gestion du poids est primordiale. Comment stabiliser notre poids ? Quelle est l’alimentation idéale pour le lipœdème ? Puisque la douleur pourrait être diminuée par la perte de poids, est-il envisageable de perdre des kilos sans régime restrictif ? Nous avons besoin de recommandations précises et documentées pour éviter les erreurs et la spirale infernale des régimes à répétition avec tout l’impact qu’ils ont sur le corps et le moral.
Références :
Lipedema, Not A Closed Case: a New International Consensus
JWC international consensus document